L’atelier a un plancher en bois vernis et des
lustres au plafond, blanc crème. Il y a une petite cheminée de marbre
noir sur laquelle s’entassent toujours pêle-mêle différents objets
ramassés ailleurs, amassés ici. Mais sur l’autel des pièces rapportées,
chaque morceau a son gramme de noblesse, que la main divine tente de
dépoussièrer.
"Croix de bois...si au recto je mens, toujours j’irai en enfer"
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Parfois, on se croirait dans l’antichambre du diable :
certains assemblages étranges, machiavéliques et insensées, à l’état
brut attise déjà la convoitise de l’œil. L’air qu’on y respire est
toxique, légèrement sulfureux, qu’aucune plante n’y surviverait, pas
même l’amanite tropicale. L’essence de thérébentine parfume la pièce
comme le mauvais génie échappé d’un pot mal rebouché. Le visiteur,
souvent pris de vertige, s’accomode que très rarement de cette drogue
douce tandis que le peintre, envoûté, s’est fait à cet oxygène rare qui
ennivre son quotidien.
De larges fenêtres filtrent à chaque seconde de la
journée les subtilités colorimétriques de la lumière, tantôt joyeuses,
parfois pâles, contrastées au petit matin et enveloppantes en journée.
Les soirs d’été, quelques rayons audacieux balayent la poussière du
temps afin d’éclaircir les mystères d’une vieille bricole sous un
nouveau jour.
Le chevalet du peintre, ancêtre mourant, cicatrise ses
plaies colorées laissées sanguilonnantes sur sa guillotine de bois.
Pourtant, plusieurs toiles vierges ont été achevées sous sa coupe de
juge au parquet. Le harem des femmes voilées, une à une, toutes
condamnées, puis décapitées. A chaque exécution, les demoiselles repose
interdite contre le mur, muette en croix de bois. Lui souffre le martyr
de l’arbre crucifié.Et lorsque l’aiguille de minuit vient à nouveau le
piquer, le grincement douloureux de l’hêtre sonne le glas. Après une
minute de silence, au coin de la rue, un chien hurle sa mort.
Les objets ont une âme.
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Le lendemain, les pinceaux, petits et grands en
communion dans le même pot africain, dirigent les pointes aigues de
leurs cheveux blancs vers le ciel, quemandant la grâce du peintre. L’un
d’eux - très maigre - est foutu, asséché par le noir d’ivoire qui
l’enveloppe de son vêtement de mort. Il espère purger sa peine dans
l’eau de jouvence, pour retrouver la terre de sienne ancrées dans ses
racines. Mais la main du créateur ignore le bâton avec lequel il prêche
et il faudrait un miracle pour que le nègrot échappe à sa dictature ;
dans l’effervescence précipitée de la création, la canne blanche guide
son maître mais c’est ainsi, lui ne la verra jamais.
(Galienni, Notes d'atelier, 2004)